“Émile ou De l’éducation”, Rousseau

[Lecture linéaire n°9] – Jean-Jacques Rousseau, Emile ou de l’éducation (1762), extrait du livre II

Introduction :

Accroche/présentation de l’auteur et du recueil

Jean-Jacques Rousseau est un auteur Suisse du XVIIIe siècle. Né dans un milieu modeste d’artisans, Rousseau est un autodidacte qui, découvrant les salons littéraires lors de son arrivée à Paris en 1942, a commencé à écrire. Il devient par la suite l’une des principales figures du mouvement des Lumières.

Philosophe de la sensibilité évoquant la souffrance de l’homme au contact de la société, Rousseau se présente comme un incompris à travers son œuvre, revendiquant ainsi l’expression de ses sentiments et de ses désirs, et trouvant volontiers refuge dans la solitude, auprès de la nature.

Présentation de l’extrait : place dans l’œuvre, sujet, thèmes

Rousseau adhère à la notion générale des philosophes des Lumières du XVIIIe siècle selon laquelle l’éducation est essentielle pour lutter contre l’ignorance et doit aider à transformer l’individu en un être “éclairé”. Dans son livre “Émile ou De l’éducation”, il présente le parcours de développement idéal d’un élève fictif qu’il souhaite éduquer en respectant les différentes phases de sa croissance naturelle tout en le préservant des influences corruptrices de la société.

En ce qui concerne l’argumentation, l’auteur utilise une stratégie complexe qui consiste en une argumentation directe et une utilisation habile de modalités exclamatives et interrogatives, ainsi que de la deuxième personne, l’impératif et le présent d’énonciation. Cette stratégie vise à persuader le lecteur en lui exposant la douleur intense ressentie par les enfants maltraités (un registre pathétique est utilisé), mais aussi à le convaincre en démontrant l’incohérence des discours paradoxaux qui justifient la violence éducative. Ces précepteurs justifient leur contrainte au nom de l’avenir de l’enfant et de son accomplissement futur.

Problématique/enjeux du texte

L’auteur évoque l’enfance de manière à la fois poétique et en accord avec la philosophie rousseauiste. Selon cette dernière, l’enfance représente le stade le plus proche de la bonté naturelle de l’homme. C’est un temps où le bonheur est à son apogée pour un être qui n’a pas encore été souillé par les influences corruptrices de la civilisation.

Cependant, l’enfance ne dure qu’un temps limité. Rousseau insiste sur l’idée que ce moment est précieux, car il concentre un bonheur unique, fugace et passager, comme une référence à la thématique du tempus fugit (= le temps fuit). L’objectif est donc de préserver la pureté de l’enfance contre une éducation qui risque de confisquer l’être humain de sa nature profonde.

Comment Rousseau défend-il sa conception de l’éducation dans cet extrait ? Comment Rousseau dénonce-t-il les méfaits d’une éducation fondée sur la contrainte ? Quels aspects de l’éducation Rousseau dénonce-t-il dans cet extrait ?

Mouvements :

  • Du début à “les tourments” : une critique de la violence éducative.
  • “Hommes, soyez humains” à la fin : un plaidoyer en faveur de l’enfance heureuse.

Conclusion :

Synthèse et réponse à la problématique

Dans ce passage, Rousseau fait un vibrant plaidoyer pour une enfance heureuse et dénonce vigoureusement les méfaits de la violence éducative, qui prive les êtres humains du seul moment de bonheur éphémère que la nature leur offre (thème du tempus fugit). Il critique également le fait que cette violence soit justifiée par des bénéfices futurs incertains. En somme, il met en lumière les abus de l’éducation qui font perdre aux enfants leur innocence et leur bonheur.

Il s’agit d’un texte mettant en relief la confiance de Rousseau en la nature humaine, et en cet état de bonté originel que symbolise l’enfance

Ouverture

On peut trouver un lien entre l’éducation des sophistes de Gargantua dans le roman de Rabelais. Ces derniers privent l’élève de ses capacités, le réduisant à une forme d’abêtissement.


Développement :

Mouvement 1 : une critique de la violence éducative
  • “Que faut-il donc penser […] il est à croire qu’il ne jouira jamais ?” ➝ longue question rhétorique structurée autour de l’infinitif “penser” : Rousseau interpelle le lecteur et invite ce dernier à raisonner.
  • “cette éducation barbare” ➝ périphrase péjorative : invite le lecteur à se positionner contre ce type d’éducation. Le déterminant démonstratif “cette” permet à Rousseau de mettre de la distance.
  • “qui sacrifie le présent à un avenir incertain, qui charge un enfant de chaînes de toute espèce et (qui) commence par le rendre misérable” ➝ trois propositions subordonnées relatives avec un lexique péjoratif : connote l’entrave, la contrainte et l’emprisonnement qu’est ce type d’éducation.
  • “pour lui préparer au loin” ➝ complément circonstanciel de but : Rousseau dénonce cette éducation exercée sous un prétexte illégitime, au nom de bienfaits pour l’élève.
  • “joug insupportable”, “condamnés”, “travaux continuels”, “galériens” ➝ lexique péjoratif : connote la pénitence.
  • “comme des galériens” ➝ comparaison : montre que cette éducation réduit les enfants à la servitude des forçats.
  • “sans être assuré que tant de soins leur seront jamais utiles” ➝ négations dans cette phrase au futur : montre le caractère hypothétique de ses bienfaits.
  • “l’âge de la gaieté” ➝ périphrase désignant l’enfance : pour Rousseau, l’enfance se situe au plus proche de la bonté originelle de l’homme.
  • “des pleurs, des châtiments, des menaces, de l’esclavage” ➝ gradation ascendante : détaille les manifestations néfastes d’une violence qui cerce l’enfant de toutes parts.
  • “se passe” ➝ verbe pronominal au présent de vérité générale + “on tourmente”, “on ne voit pas”, “on appelle” ➝ pronom personnel “on” : attestent de la généralisation d’une phénomène social, collectif, exercé aveuglément.
  • “pleurs”, “menaces”, “châtiments”, “esclavage” ➝ rapprochement du lexique de la pénitence avec la “gaieté” formant des antithèses : montre la nature contradictoire de cette brutalité exercée au nom d’une finalité bénéfique.
  • “on tourmente le malheureux pour son bien” ➝ complément circonstanciel de but dans cette assertive : s’ajoute à la démonstration de la nature contradictoire de cette éducation.
  • “extravagante sagesse” ➝ oxymore : raisonnement absurde qui préside à cette vision paradoxale.
  • “victimes”, “cruauté”, “maux”, “souffrir”, “tourments”, “mort”, “périssent”, “mourir” ➝ champ lexical de la mort et de la souffrance : montre que la prétendue sagesse des maîtres justifie un recourt à la violence tel qu’il promet l’enfant à un destin funeste.
  • “la mort qu’on appelle, et qui va le saisir” ➝ deux subordonnées relatives au présent à valeur de futur proche, développent une allégorie de la mort : montre que cette éducation écourte la vie des enfants.
  • “heureux d’échapper à sa cruauté”, “mourir sans regretter la vie” ➝ antithèses dans les assertives : certains enfants, ainsi éduqués, voient dans la mort la seule échappatoire possible.

Mouvement 2 : un plaidoyer en faveur de l’enfance heureuse
  • “Hommes” ➝ apostrophe à la 2e personne : interpellation directe qui s’adresse à l’ensemble des êtres humains et met en relief la notion d’humanité.
  • “c’est votre premier devoir” ➝ présentatif : fait de l’humanisme une obligation morale.
  • “pour tous les états, pour tous les âges, pour tout ce qui n’est pas étranger à l’homme” ➝ anaphore : portée universelle de cet appel : la bonté envers les autres doit s’appliquer en toutes circonstances.
  • “Quelle sagesse y a-t-il pour vous hors humanité ?” ➝ question rhétorique, interrogative partielle : porte sur un idéal philosophique à atteindre, la sagesse.
  • “hors de l’humanité” ➝ complément circonstanciel de lieu : humanité assimilée à une dignité, mais aussi à un espace commun.
  • “cet âge où le rire est toujours sur les lèvres et où l’âme est toujours en paix” ➝ propositions subordonnées relatives complétant l’antécédent “âge” : définition de l’enfance, période de gaieté, joyeuse mais aussi période paisible, temps de l’harmonie.
  • “ces petits innocents” ➝ périphrase : enfance comme état de candeur, naturel.
  • “Pourquoi voulez-vous ôter […] qu’ils ne peuvent revenir pour vous ?” ➝ questions rhétoriques, deux interrogatives directes partielles de construction parallèle autour du “vouloir” : interpelle le lecteur sur les motivations de ce qu’il présente comme un choix.
  • “ôter […] la jouissance”/”remplir d’amertume et de douleurs” ➝ antithèse avec “ces petits innocents” comme COD : patient du procès.
  • “temps si court” / “temps si précieux” ➝ parallélisme : développe la thématique du tempus fugit, l’enfance est une période dont la valeur tient à son caractère fugace.
  • “Pères, savez-vous le moment où la mort attend vos enfants” ➝ apostrophe avec interrogative directe adressée aux dépositaires de l’autorité parentale : Rousseau confronte ces parents à leur ignorance.
  • “à quelque heure que Dieu les appelle” ➝ euphémisme qui s’ajoute au lexique de la mort : rappel de la finitude et de la précarité de l’enfance.
  • “ne vous préparez pas”, “faites” ➝ injonctives : Rousseau demande à ces pères de protéger leurs enfants, et de favoriser leur épanouissement.