[Lecture linéaire n°15] – Wajdi Mouawad, Incendies (2003), Lettre aux jumeaux

Introduction :

Accroche/présentation de l’auteur et du recueil

Wajdi Mouawad est un auteur, metteur en scène et comédien canadien d’origine libanaise, né en 1968. Il est surtout connu pour ses pièces de théâtre, qui ont été présentées dans de nombreux pays et ont remporté de nombreux prix. Mouawad a également travaillé dans le cinéma, en tant que réalisateur et scénariste. En 2012, il a été nommé directeur artistique du Théâtre national de la Colline à Paris.

Incendies est une pièce de théâtre qui fait partie de la tétralogie “Le Sang des Promesses”, qui comprend également les pièces Littoral, Forêts et Ciel. Dans cette pièce, Wajdi Mouawad explore une histoire familiale contemporaine qui s’inspire du mythe d’Œdipe. Il y renouvelle l’héritage de la tragédie en mêlant des thèmes intemporels tels que l’identité, l’amour et la quête de vérité, avec des éléments du contexte troublé et chaotique de la guerre, qui favorise les situations les plus violentes et les transgressions les plus extrêmes. Cette pièce, comme les autres de la tétralogie, explore les thèmes profonds et universels de l’existence humaine, tout en proposant une réflexion sur les conséquences de la violence et de la guerre sur les individus et les familles.

Incendies raconte l’histoire émouvante et tragique de Jeanne et Simon, deux jumeaux qui sont confrontés à la mort de leur mère Nawal Marwan. Au moment où ils lisent son testament, ils découvrent qu’ils ont un frère aîné dont ils ignoraient l’existence et qu’ils doivent retrouver. Mais cette quête les conduit à découvrir un secret choquant et inimaginable : leur frère aîné, devenu bourreau dans une guerre au Moyen-Orient, a violé et torturé sans le savoir sa propre mère, Nawal. Ce qui signifie que leur père et leur frère ne sont qu’une seule et même personne. La pièce explore ainsi les thèmes universels de la famille, de l’identité et de la mémoire, tout en proposant une réflexion poignante sur les conséquences de la guerre et de la violence sur les individus et les familles.

Présentation de l’extrait : place dans l’œuvre, sujet, thèmes

Il s’agit de la dernière scène de la pièce, qui suit le dénouement et s’apparente à un épilogue. La scène est en réalité une lettre posthume de la mère des jumeaux, Nawal, et qui équivaut à une longue tirade en vers irréguliers : d’abord adressé à Simon, puis à Jeanne et enfin aux deux enfants en même temps.

Problématique/enjeux du texte

La pièce “Incendies” présente deux émotions apparemment opposées face à la tragédie, le chagrin (Simon) et la colère (Jeanne), exprimées par les jumeaux qui cherchent à découvrir la vérité sur leur famille. Le discours de leur mère, Nawal, offre une parole réconfortante qui transcende sa mort et questionne la source de cette spirale où l’amour et l’horreur s’entremêlent. Elle envisage également la possibilité d’un apaisement, d’une rupture du cercle tragique de la famille, après l’horreur de sa révélation.

Ainsi, le discours propose une issue à la crise familiale que traversent les personnages. L’épilogue semble envisager une sortie du tragique, offrant une lueur d’espoir pour la réconciliation et la guérison des blessures de la famille.

Mouvements

  • Début à “chaque image” : discours à Simon, une parole consolatrice.
  • “Jeanne” à “casser le fil” : discours à Jeanne, un appel à rompre une malédiction filiale.
  • “Jeanne, Simon” à la fin : l’adresse aux deux jumeaux : le choix d’un commencement.

Conclusion :

Synthèse et réponse à la problématique

L’épilogue de “Incendies” propose une sortie du tragique en offrant aux personnages un choix pour leur avenir. La fin de la lettre de Nawal incite les enfants à tourner leur regard vers l’avenir et à décider où commence leur propre histoire, plutôt que d’être déterminés par leur passé tragique. Cette fin ouverte invite les personnages et les spectateurs à envisager la possibilité d’un futur meilleur et d’une guérison des blessures de la famille, malgré les terribles révélations qui ont été faites.

Ouverture

Cette pièce est une réécriture du mythe de Œdipe. Cependant, cette reprise cherche à dépasser la fatalité tragique du mythe antique.


Développement :

Mouvement 1 : discours à Simon, une parole consolatrice
  • Simon ➝ apostrophe.
  • “Est-ce que tu pleures ?” ➝ interrogative directe : s’adresse à son fils par-delà la mort, forme de prosopopée.
  • “je ne sèche pas” ➝ verbes au présent d’énonciation : mère présente, presque un dialogue.
  • “Si tu pleures ne sèche pas tes larmes / Car je ne sèche pas les miennes” ➝ parallélisme : fusionne souffrance de son fils avec la sienne.
  • “L’enfance est un couteau planté dans la gorge” :
    • métaphore : image d’une blessure profonde qui empêche les fonction vitales (respirer) et la parole.
    • “est” ➝ présent de vérité générale : concerne la mère, les jumeaux et tous ceux qui ont connus la souffrance dans l’enfance.
  • “tu as su le retirer” ➝ passé composé : geste libérateur et qui est mis en valeur (“geste parfois très courageux”).
  • “il faut réapprendre à avaler sa salive”, “il faut reconstruire l’histoire” ➝ tournures injonctives : forme de convalescence.
    • image d’une réparation physique, mentale et mémorielle.
  • “L’histoire est en miettes” ➝ métaphore.
  • “doucement” ➝ reprise anaphorique de l’adverbe.
  • “consoler”, “Guérir”, “Bercer” ➝ lexique de la consolation et de la réparation.
  • “chaque” ➝ répétition : intention de ne rien laisser au hasard, ne rien négliger, laisser de coté.

Mouvement 2 : discours à Jeanne, un appel à rompre une malédiction filiale
  • “Jeanne” ➝ apostrophe : changement de destinataire du discours.
  • discours parallèlement antithétique parallèle à celui de Simon.
  • “souris”, “rire” ➝ lexique de la joie : cache une émotion beaucoup plus complexe en réalité.
  • “le rire de la colère” ➝ oxymore : rire de Jeanne est un indice d’une forme de rage intérieur.
  • “côte à côte” ➝ complément circonstanciel de manière : communauté soudée qui partage ce sentiment de colère.
  • “Sawda” ➝ souvenir de la guerre.
  • “Souris, Jeanne, souris” ➝ injonction avec impératif : reprend le propos initial de son discours.
  • “Notre famille” ➝ possessif.
  • “Les femmes de notre famille, nous sommes engluées dans la colère” ➝ métaphore : associe cette colère à un héritage commun dans lequel elle s’inclut avec sa fille.
  • “Et comme ma mère fut en colère contre sa mère” ➝ “contre” = opposition.
  • “Il faut casser le fil” ➝ dernière injonction adressée seulement à Jeanne, volonté de rompre ce cycle.

Mouvement 3 : l’adresse aux deux jumeaux : le choix d’un commencement
  • forme de cycle tragique qui relie les différents membres de la famille.
    • “Où commence votre histoire ? / A votre naissance ?” ➝ double interrogative.
    • “A votre naissance […] A la naissance de votre père” ➝ deux hypothèses.
    • “l’horreur” / “l’amour” ➝ antithèse.
  • C’est à eux de choisir où commence leur histoire, la mère ouvre la possibilité d’un choix : elle propose à ses enfants une sortie du tragique.