[Lecture linéaire n°7] – François Rabelais, Gargantua (1534), extrait du chapitre 17

Introduction :

Accroche/présentation de l’auteur et du recueil

François Rabelais est un auteur emblématique de la première moitié du XVIe siècle ainsi que du mouvement humaniste. Il a été durant sa vie moine, médecin et érudit. Ses écrits font le lien entre la culture savante et la culture populaire.

Rabelais est l’auteur d’un cycle romanesque dont les deux premiers tomes sont Pantagruel (1532) et Gargantua (1534) mettant en scène des géants des folklores médiévaux dans des romans de chevalerie parodiques. Cependant, il y intègre une réflexion sur des sujets contemporains comme l’éducation, la religion et l’exercice du pouvoir. Ainsi il donne à lire les thèmes liés à l’humanité ce qui lui vaut d’être censuré surtout pour le manque de respect à l’égard des institutions religieuses dans ses romans.

Il s’agit du prologue du deuxième roman du cycle romanesque de Rabelais, Gargantua, qui parut en 1534. Ce roman raconte l’histoire de Gargantua, le père de Pantagruel, personnage du roman paru en 1532.

Rabelais écrit ses romans sous le pseudonyme d’Alcogribas Nasier.

Présentation de l’extrait : place dans l’œuvre, sujet, thèmes

Situation : ce passage est extrait du chapitre 17, une étape importante et symbolique dans le parcours de Gargantua qui suit l’évolution du héros de roman de chevalerie. Suite à ses premières années d’éducation chez un précepteur sophiste, Gargantua est envoyé à Paris par son père Grandgousier. Le but est de parfaire sa formation sous l’enseignement du maître humaniste Ponocrates. Le chapitre 17 marque l’arrivée de Gargantua à Paris, haut lieu du savoir et de la formation intellectuelle, mais aussi du pouvoir politique et de l’autorité religieuse de la Sorbonne.

Le texte : ce texte offre une critique du peuple de Paris masquée par le rire. Rabelais propose dans ce texte une critique évangélique de la foi médiévale ainsi qu’une vision satirique du “peuple de Paris”. Cet extrait présente un jeu sur la culture savante et populaire : l’étymologie, science de l’origine des mots et remplacée par une motivation comique du langage.

Problématique/enjeux du texte

En quoi ce combat carnavalesque entre le héros et les Parisiens se lit-il comme une confrontation entre l’esprit médiéval et l’humaniste ? En quoi établit-il un lien entre le rire et le sérieux ?

Mouvements :

  • Du début à « Mais ce ne sera que par ris ! »  : La satire des Parisiens, peuple à la crédulité grégaire qui contraint Gargantua à se réfugier sur les tours de Notre-Dame.
  • « Alors en souriant » à « les autres par ris » : La vengeance de Gargantua inondant la ville de son “pissefort” : un combat carnavalesque.
  • « Abracadabri » à la fin : Paris rebaptisé par Gargantua : un comique source d’un nouveau savoir, à l’origine d’une double étymologie facétieuse.

Conclusion :

Synthèse et réponse à la problématique

Ce passage célèbre dans la prose de Rabelais est caractérisé par un humour souvent grossier et scatologique qui, par le biais de la satire des Parisiens, révèle une critique plus profonde de leur mentalité médiévale arriérée et de leur superstition. Cette critique est présentée de manière burlesque à travers le combat mené par Gargantua sur les terres de la Sorbonne, qui célèbre le triomphe du bas corporel sur l’esprit sclérosé du Moyen Âge.

Le rire est omniprésent dans ce passage, de la parole de Gargantua au narrateur en passant par les Parisiens eux-mêmes. Le langage est renouvelé de manière burlesque grâce aux références au bas corporel, ce qui crée un lien fantaisiste entre le rire et le savoir.

Les croyances archaïques des Parisiens sont dénoncées et leur ville est présentée sous un nouveau jour, symbole de leur possible renaissance humaniste. En somme, ce passage est un exemple de l’humour subversif de Rabelais, qui utilise le rire pour dénoncer les valeurs et les mentalités dépassées de son époque.

Ouverture

On peut relier cet extrait aux harangues de Janotus de Bragmardo, qui vient réclamer les cloches de Notre-Dame. Cette harangue est une satire qui cible la rhétorique sophiste des « sorbonnagres », et s’ajoute ainsi aux nombreuses critiques de l’université de Paris présentes dans l’œuvre de Rabelais.


Mouvement 1 : La satire des Parisiens, peuple à la crédulité grégaire qui contraint Gargantua à se réfugier sur les tours de Notre-Dame.
  • “Quelques jours après qu’ils se furent reposés, il visita la grande ville” ➝ subordonnée circonstancielle de temps au passé antérieur avec principale au passé simple : introduction d’une nouvelle étape dans les aventures de Gargantua.
  • “Gargantua fut contemplé par tout le monde avec beaucoup d’admiration” ➝ verbe au passif, le sujet (Gargantua) subit l’action + complément circonstanciel de manière “avec beaucoup d’admiration” : Gargantua est transformé en attraction, en géant de foire ou de carnaval sous les regards curieux des Parisiens.
  • “Car le peuple de Paris est si sot, si gobeur, si inepte de nature” ➝ périphrase (“le peuple de Paris”) + énumération et gradation d’adjectifs dépréciatifs avec la répétition de l’adverbe d’intensité “si” : déploiement de la satire des Parisiens, présenté par la périphrase et qui sont caractérisés par leur bêtise et leur crédulité.
  • “qu’un bateleur, un porteur de reliques, un mulet à grelots un jouer de vieille” : subordonnée circonstancielle de conséquences avec énumération de groupes nominaux hétéroclites : parisiens sont attirés par les attractions de foire, auxquelles sont ajoutés les objets religieux, plutôt que par les discours intelligibles d’un “bon prêcheur évangélique“.
  • “que ne le ferait un bon prêcheur évangélique” ➝ subordonnée comparative : confirme l’opposition entre deux conceptions de la croyance (foi évangélique qui s’adresse à l’âme et à l’esprit opposée à la foi médiévale liée au superstitions).
  • “Et ils le poursuivirent avec tant d’insistance qu’il fut contraint de se reposer sur les tours de l’église Notre-Dame. Une fois en ce lieu, voyant tant de gens autour de lui, il dit d’une voix claire” :
    • “qu’il fût contraint de se reposer” ➝ subordonnée circonstancielle de conséquence avec à nouveau un groupe verbal au passif : Gargantua est harcelé et encerclé par la foule.
    • pronom pluriel “ils” désignant les Parisiens, par opposition au “il” singulier (Gargantua) : seul contre tous, le héros est obligé de fuir pour trouver du repos.
    • Intensif “tant” devant le groupe prépositionnel “d’insistance” + “de gens autour de lui” : Gargantua, épuisé, est poussé à l’inaction, neutralisé par les Parisiens, nombreux.
    • “d’une voix claire” ➝ complément circonstanciel de manière : Gargantua parle intelligiblement contrairement aux parisiens (cf. mouvement 2).
  • “Je crois que ces maroufles veulent que je leur paye ici ma bienvenue et mon étrenne. Ce n’est que raison. Je vais leur donner un pourboire. Mais ce ne sera que par ris !” ➝ passage au discours direct à la première personne, lexique de la rémunération (“paye”, “pourboire”, “étrenne”), complément circonstanciel de but (“par ris”) : Gargantua énonce sa volonté de vengeance : il s’apprête à donner aux parisiens une juste rétribution, mais par plaisanterie. Le rire, valeur fondamentale, en est la vraie raison. Il s’agit d’une punition burlesque qui s’apparente à une parodie du déluge.

Mouvement 2 : La vengeance de Gargantua inondant la ville de son “pissefort” : un combat carnavalesque.
  • “il détacha”, “compissa”, “il noya” ➝ verbes au passé simple avec Gargantua sujet à la 3e personne : le héros passe à l’action.
  • “hardiment” ➝ adverbe + “deux cent soixante mille quatre cent dix-huit, sans compter les femmes et les petits enfants” ➝ hyperbole numérique : combat carnavalesque qui parodie un affrontement épique. L’adverbe “hardiment” et l’hyperbole numérique renvoient au registre épique.
  • “braguette”, “membre”, “compissa” ➝ lexique du bas corporel, aux connotations sexuelles : lutte purement burlesque, Gargantua se bat en urinant sur ses ennemis. Parodie des déluges des récits mythologiques et bibliques.
  • “quand ils furent au plus faut de la colline de l’université” ➝ complément de lieu “au plus haut de la colline de l’université” dans la subordonnée circonstancielle de temps : les habitants de Paris subissent une grande défaite et cherchent refuge près de l’université. Les forces adverses encerclent la Sorbonne, qui est l’objet de critiques de la part des évangéliques. Néanmoins, cette situation oblige symboliquement les Parisiens à se hisser vers le haut pour leur survie.
  • “suant, toussant, crachant et hors d’haleine, ils commencèrent à maudire et à jurer, les uns en colère, les autres par ris” ➝ lexique de la sécrétion corporelle et lexique du langage blasphématoire : les Parisiens sont accusés d’être sales et grossiers, avec un langage inarticulé et dégradé. Ils sont considérés comme incapables de maîtriser un discours autre que celui de l’insulte et du blasphème. Il y a une division au sein de leur groupe initial, entre ceux qui sont en colère et ceux qui rient. Le rire de Gargantua a un effet contagieux sur certains Parisiens.

Mouvement 3 : Paris rebaptisé par Gargantua : un comique source d’un nouveau savoir, à l’origine d’une double étymologie facétieuse.
  • “Abracadabri, abracadabra, par la sainte amie, nous voilà arrosé par ris” ➝ voix des Parisiens au discours direct avec un lexique de la superstition : souligne à nouveau la tendance superstitieuse des Parisiens.
  • “la ville fut nommée Paris” ➝ homophonie “par ris”/”Paris” : rapprochement burlesque entre la ville de Paris et la motivation de Gargantua de se venger pour rire. Le rire de Gargantua est à l’origine d’une création langagière, il donne à la ville son nouveau nom.
  • “comme le dit Strabon dans le livre IV, c’est-à-dire en grec Blanchette, en l’honneur des blanches cuisses des dames du lieu” ➝ subordonnée comparative, faux argument d’autorité et référence inventée + lexique du bas corporel (“blanche cuisses des dames”) : justification fantaisiste grâce au mélange d’une référence de culture savante et d’humour scatologique.
  • “tous les assistants”, “tous les saints” ➝ hyperboles : nouvelle satire des Parisiens, prompts à la cacophonie (tous parlent).
  • “jurèrent”, “bons jureurs et bons juristes” ➝ parisiens prompts à l’injure et au blasphème.
  • “C’est ce qu’estime Joannis de Barranco au livre De l’abondance des références” ➝ auteur et référence imaginaires.
  • “les ‘Parrhésiens’ par hellénisme parce qu’en grec ce nom signifie ‘forts en gueule'” ➝ lexique savant mélangé au langage vulgaire : autre étymologie fantaisiste, l’origine du mot parisiens est à nouveau prétexte à la satire d’un peuple râleur, parlant haut et fort.